Etre né quelque part ... ⚓⚓⚓
Je suis née à La Goulette en Tunisie le 11 juillet 1959. Le pays avait gagné son indépendance en 1956 et la gentille cohabitation entre les différentes communautés commençait à se briser. La vie insouciante c'était avant...
Nous trois au tout début... J'aurais grandi à deux pas de la plage, avec Jeanne et Félix, mes parents. J'aurais dû...L'histoire en a décidé autrement.Un bateau qui traverse la Méditerranée. A son bord toute ma famille et un bébé de cinq mois. Etre né quelque part puis partir pour travailler et se mettre en sécurité. Changer de continent, changer de vie, bouger pour un avenir meilleur. Partir sans rien emporter, ou si peu...
Bien sûr je n'ai aucun souvenir de ce grand chambardement. J'étais trop petite. Moi c'est comme si j'étais née à Marseille. J'étais un bébé...
Ils ont osé, ils se sont lancés, ils ont débarqué (au sens propre du terme) en France, leur pays sans l'être tout à fait. Je vous dis Chapeau, bravo, fière de vous!
Mes chers parents, j'ai beaucoup d'admiration pour vous. Partir n’a pas été un choix mais une nécessité vitale. Il fallait le faire ou vivre la peur au ventre. Le choix a été vite fait!Vous avez choisi Marseille, quelle bonne idée! Vous êtes devenus marseillais, car, voyez-vous on devient marseillais. Qu'on y soit né ou pas, Marseille vous adopte. Ici on accueille, on recueille, on ne chasse pas les pauvres gens. On les bichonne.Massilia 🐟⛵⚓ Ville métissée entre Orient et Occident. Vous avez posé vos valises et vous vous êtes reconvertis. Vous aviez un garage et vous répariez les autos.A Marseille vous avez troqué les automobiles pour les bateaux. Vous avez commencé à réparer les moteurs des chalutiers du Vieux Port et entretenu toute la flottille des bateaux du Château d'If. Ceux-ci étaient en panne une fois par jour! Donc beaucoup de travail pour vous trois. Ensuite, vous avez acheté les murs de cet atelier, rue Fort-Notre-Dame, tout votre argent y est passé... Enfin, à force d'un travail acharné, vous êtes devenus les champions du monde des treuils, les machines qui hissent les filets hors de l'eau.
Mon père Félix, son frère Joseph et mon grand-père Vincent travaillaient là ensemble. Aux Ateliers AGIUS, 8 rue Fort-Notre-Dame Marseille 7 èmetel 33 20 33...Nous les enfants, n'avons jamais eu conscience de ce que représentait pour nos parents et surtout nos grands-parents ce changement radical de vie, cette aventure géographique et professionnelle. Nous savions seulement qu'on nous appelait les Pieds-Noirs, que chez nous on parlait le sicilien, que nos parents avaient un accent qui faisait sourire (d'ailleurs pas très gentiment) que nos menus n'étaient pas tout à fait les mêmes que ceux de nos copains d'école c'est tout. On ne se posait pas trop de questions.
Parlons maintenant ECOLE. Je n'ai jamais eu à me forcer pour bien travailler. J'étais première ou deuxième de la classe, sans me la raconter, avec des parents qui n'ont jamais eu seulement l'idée de rencontrer la maîtresse ou le maître une seule fois dans l'année. J'étais la petite fille modèle, travailleuse et discrète. Oui oui ça a changé depuis!
En grandissant j'ai vite compris que jamais nous ne serions vraiment comme les autres. Français oui mais seulement sur la carte d'identité...Ces différences ont éveillé en moi une vraie conscience politique.Ces origines que je faisais tout pour cacher à 10 ans, j'en suis tellement fière aujourd'hui.Mais quand tu es enfant tu n'as qu'une ambition, ressembler à tout le monde surtout ne pas te démarquer. J’ai été temoin de la discrimination et du harcèlement dans les quelques écoles que j'ai fréquentées.
En fait il ne faut pas se faire remarquer. Il faut s'habiller comme les autres sinon... On te montre du doigt, pas de bol... Et parfois ça peut aller plus loin, malheureusement...Les sentiments de rejet ressentis par tous les "sans quelque chose" me sont familiers. J’ai vécu quelques situations de ce genre. On te rejette parce que tu es différente. Ça fait très mal.□■□■□■□
J'avais 10 ans et cette mésaventure à l'école Eugène Cas, aux Chartreux, a laissé des traces dans mon coeur de petite fille.En CM2, fin juin, je suis première ex-equo avec une charmante Françoise Dubois, bonne copine de classe. Elle habitait au boulevard Chave, une très jolie maison de plain pied avec jardin. Je l'admirais énormément. Elle était belle, de longs cheveux bruns, ses parents étaient "riches" enfin ils étaient surtout beaucoup plus riches que nous.
La coutume voulait que le premier de chaque classe fut invité sur le Vieux Port chez Gaston Deferre, le maire de Marseille de l'époque, pour recevoir un prix, souvent un beau livre relié. Le maître devait en choisir l'une des deux.Marie-Lise AGIUS, nom maltais si souvent écorchéFrançoise Dubois, joli petit nom françaisPetite digression (j'adore les digressions)AguisseAgUis...A quoi? Epelez s'il vous plaît!"A G I U SVous pouvez comprendre pourquoi j’ai éprouvé un tel soulagement le jour de mon mariageMarie NOËL 🙏 merci mon Dieu!!!Je n'y suis pas allée. Tirage au sort ou choix du maitre, je ne saurais jamais. Désolée Françoise, tu n'y étais pour rien... Tu étais une fille très sympa et je t'aimais énormément. Je ne t'en ai jamais voulu. J'en voulais au maître, je trouvais ce choix tellement injustifié.
Pour la première fois de ma jeune vie, j'ai été blessée, profondément. J’ai vu mes parents désolés, peinés pour moi. Ç'aurait été une telle fierté de voir leur fille de 10 ans à la mairie. Bon, en réfléchissant, Gaston Deferre.... ce n’était pas mon héros!
J'ai reçu et je reçois encore beaucoup d'amour de ma famille.Je leur dois presque tout.Etre né quelque part...
Le lieu de ma naissance n'a qu'une importance relative. J'aurais pu naître à Marseille, en Sicile ou à Malte... Le lieu de naissance importe peu; ce qui compte c'est ailleurs.Je suis née en Tunisie mais je suis marseillaise, parisienne et peyriaquoiseTout ça à la fois. Citoyenne du monde. Chez moi partout et nulle part.Le dimanche on allait au Vieux Port avec de beaux habits, les habits du dimanche. Il était d'usage de se faire beau le jour du seigneur. Aujourd'hui le dimanche on reste en jogging!Je garde peu de souvenirs de ma petite enfance. J'ai en tête quelques images, celles de ces moments uniques qui font de nous ce que nous sommes. Les grands-parents qui habitent avec nous au boulevard Chave, pépé Vincent et mémé Philippina. Le sicilien seule langue parlée entre les adultes et nous, les petits, mon frère et moi qui répondions en français. Le canari nommé François qui piaillait comme un malade dans sa cage. Il piquait un bel os de seiche furieusement avec son bec. La télévision, objet de tous nos désirs, qui s'invitait à table et les hommes qui disaient "chut" dès qu'on osait prononcer une parole... Ma mère qui soufflait et pestait parce qu'elle en avait "ras le bol" de cette vie de merde... (ses vraies paroles)! Les femmes qui partaient en expédition au marché de la rue longue des Capucins pour faire des économies (des CONOMIES disait ma mémé Sicilenne)
Et puis un jour... ils achetèrent deux appartements aux Chartreux Marseille 4ème. Un quatre pièces pour mon père et sa tribu. Un cinq pièces pour son frère Joseph et sa famille. Nous au 2ème étage, eux au troisième, la chambre en plus sera pour les grands-parents. Et oui, avant la création des maisons de retraite et parce que nous n'étions pas assez riches, les grands-parents vivaient avec leurs enfants.
C'est la culture méditerranéenne. On se serre les coudes et on prend soin des anciens. Et voilà comment tout a commencé. Une vie simple d'hommes, de femmes et d'enfants qui venaient d'ailleurs.
Au boulevard Chave, chez mes grands-parents maternels
Sur la terrasse à la Goulette dans les bras de mon grand-père Vincent
Très très joli texte.
RépondreSupprimerC’est très gentil ♡♡♡ Merci
SupprimerCe texte,ainsi que les photos sont magnifiques, parce que l'écriture est sobre, fluide; le ton est juste et décrit avec force et émotion la source des sentiments; car la mémoire n'est pas seulement la tienne, mais celle qui a précédé ta naissance.
RépondreSupprimerLe monde change,c'est vrai, mais50ans ou 60ans après, nous assistons encore,à de terribles évènements:des enfants rejetés de leur pays en guerre et accueillis nulle part.
Puisse ce beau texte partagé, faire réagir pour que le monde devienne meilleur!
Evelyne
Un immense merci Evelyne
SupprimerTon commentaire me touche au cœur ♡
Ensemble nous rêvons toujours d’un monde meilleur
Ce rêve m’a animée pendant mes 37 années à être maîtresse d’école
Et je rêve encore
Je t’embrasse
Chère Marie-Lise, je découvre ta vie en filigrane et en digital, avec toutes les possibilités que cet immense espace nous offre... Aurions-nous pu nous rencontrer en réel, au détour du vieux port ? Nul ne sait… Et voilà que se dessine peu à peu, par petites touches à peine intrusives, l'esquisse d'une femme dense d'une vie joliment contée et emplie d'une histoire familiale aux origines de cette méditerranée qui façonne si vaillamment ceux qui la sillonnent comme ceux qui la côtoient au quotidien. Je te devine, femme au sang mêlé d’odeurs de sel puisque la mer s’écoule en toi de façon naturelle et de soleil dont ton œil capte la course à l’infini… Je pense que le temps est venu pour toi de te lancer dans l’aventure livresque, tu as déjà un public conquis… Je t’embrasse
SupprimerBravo cousine.. Tes mots et la prentation de ta famille... De notre famille sont touchants... Que dieu les garde ❤️❤️❤️
RépondreSupprimerMerci ma cousine ♡ On a une famille formidable!
SupprimerJe suis captivé par votre récit. Il m atteint beaucoup car, je peux dire que c'est aussi mon récit moi la petite tunisienne de 5 ans a son arrivée a lyon. Maintenant a la retraite, je me pose des questions. Merci pour ce texte
RépondreSupprimerMerci pour votre commentaire qui me touche beaucoup. Je me sens moins "seule" à avoir vécu cette expérience 🌷
SupprimerJ ai atteri sur votre histoire par la page siciliens de Tunisie et mon père est de la goulette ainsi que toute ma famille paternelle ils étaient tous pécheurs au lac depuis 5 générations alors votre histoire ma parle énormément j ai 55 ans aujourd'hui mon père est décédé il y a presque 2 ans et ma mère presque 4 ans et je suis nostalgique en vous lisant le cœur bouleversé Merci beaucoup
RépondreSupprimerMoi aussi je suis émue en vous lisant, très émue. Merci de m’avoir lue.Tout ce que je sais de la Tunisie de nos parents c'est ce que mon père m’a raconté. Leur vie y était douce. Ils avaient peu mais ils étaient riches de ces échanges où le voisin, quelle que soit sa religion, était comme un membre de la famille. Grâce à mon blog je tisse aussi des liens. Comme ça l’histoire ne se termine pas...
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